Yangon, la capitale qui ne l'est plus
Si le nom de Myanmar n'est pas très connu, sa capitale l'est encore moins. Les afficionados de la géographie seraient probablement tentés de dire qu'il s'agit de Yangon / Rangoon (en birman et en français) mais la réponse est fausse. La faute à des militaires mégalos qui l'ont déplacée en 2005 vers le centre du pays à Nay-Pyi-Taw, une ville surgit du néant et possédant entre autres des artères à 8 voies alors que la plupart de la vie et de l'activité non politique est demeurée à Yangon et que l'on doit vivre avec trois fois rien dans tant d'autres régions.
Le voyageur débarquera le plus probablement à Yangon que je vais donc présenter à travers quelques sites uniquement et à grands traits. La ville est plutôt tentaculaire. Son architecture en son centre est un mix entre le style colonial britannique pour certaines façades et l'apparence d'une grande ville indienne, les vaches en moins. Depuis que le pouvoir s'est fait la malle avec ses valises plus remplies de gros billets que de tricots en laine de belle-maman, le patrimoine est à peu près aussi défraichit que la possesseuse desdits tricots. Bref, il lui faudrait un bon ravalement.
Une seconde caractéristique de la ville et de toutes les localités du pays, c'est la grande tolérance religieuse qui semble y exister. De partout émergent des lieux de prière permettant de passer bien rapidement de l'hôtel à l'autel : bouddhisme, hindouisme, temples chinois, christianisme, islam, judaïsme, sikhisme, animisme, temple de la consommation ... De quoi remplir l'âme et dans le dernier cas se délester du superflu (l'argent du compte de votre conjoint).
Bien que l'esprit soit important, il faut aussi alimenter la chaudière. Pour cela, on a l'embarras du choix : le marché, le commerce du coin, les bouis-bouis ou les restaurants plus touristiques. Dans le premier cas, ce qui est merveilleux, c'est que les produits à la base étaient sains. J'utilise le passé car sur le marché ils sont mis jusqu'au milieu de la route qu'empruntent certains véhicules n'ayant pas besoin du logiciel truqué de VW. Du coup, on a des légumes probablement bios du standing de ceux de Tchernobyl. Mais peut-être que votre dada, c'est plutôt le poisson séché en plein soleil et léché par les mouches ? Par réflexe, on se réfugie de suite au resto touristique mais si vous ne vous cramponnez pas à votre assiette, vous pourrez terminer le repas avant d'y avoir touché. Petit conseil amical : servez-vous de la fourchette, pour calmer les serveurs. La supérette, il faut avoir de quoi cuisiner mais ça peut-être pas mal. Et puis il y a le boui-boui où vous pourrez parfois vivre une expérience sympa. Mais non pas la tourista ! Notre serveur se la jouait Commedia Del Arte avec le jonglage en plus. Repas divertissant et à moindre prix !
Pour payer tout ça il faut des sous et dans ce domaine je vous recommande d'éviter les bureaux de change. Les banques vous proposeront un bien meilleur taux. J'ai expérimenté la chose avec une certaine stupéfaction : souhaitant convertir tout mon avoir en une seule fois pour ne pas repayer la commission plus tard, je demande des petites coupures pour pouvoir payer pourboires et menus achats. Quelle ne fut pas ma surprise quand l'agent m'a aligné sur le bureau des liasses de 100 billets de 1000. Soit vous avez une mallette appropriée et aimez passer pour le Parrain, soit vous vous rabattez rapidement sur les grosses coupures de 10 000 kyats sachant qu'1 euro = 1300 kyats.
En ce qui concerne les visites, je vous en conseillerai trois : 2 temples forcément et 1 symbole. Les voici sans ordre particulier :
- la Paya Chaukhtatgyi dont le nom signifie "6 étages" en référence au nombre d'étages de bambou qu'il a fallu empiler pour l'édifier. A l'intérieur se trouve un Bouddha couché de 65 mètres de long et 17 de haut, en briques et recouvert de stuc. Sur la plante de ses pieds sont gravés 108 symboles qui figurent 3 mondes temporels (enfer, terre, ciel), 59 autres non-animés (objets), 21 animés (animaux) et 28 mondes conditionnels (éléments de la nature) pour signifier que Bouddha domine tout cela par sa sagesse. Des fresques relatant sa vie sont peintes sur les murs voisins. Et puis il y a cette possibilité de 1ère rencontre avec votre animal cosmique que j'évoquais dans l'article précédent. Il s'agit d'un octogone autour d'un pilier ou d'un arbre. A chaque angle un Bouddha identique aux autres et en-dessous son "véhicule", votre animal cosmique, qui permet de les différencier. Le but est de remplir un petit pot en laiton d'eau bénite et d'en arroser le Bouddha correspondant à votre jour de la semaine autant de fois que vous avez d'années. Ne nous cachons pas la face, l'exercice est fastidieux vu le nombre d'années qui nous rapproche de la sagesse. Du coup, la règle a été assouplie : on peut diviser ce nombre d'années par le chiffre qu'on veut, de préférence 10. De suite, on sent revenir une seconde jeunesse...
- la Paya Shwedagon : ses entrées sont gardées par des chinthes (lion-dragon) de 9m de haut. En haut des marches, au sommet d'une colline surplombant la ville, une esplanade couverte d'innombrables temples et sanctuaires divers à toits multiples disposés autour d'un immense stupa en or, lui-même entouré d'une muraille de plus petits. Un stupa, c'est un monument en forme de cloche dans lequel sont abrités des reliques. Le site est l'un des plus sacrés du pays.
- le lac Kandawgyi et son Karaweik : vous vous souvenez sûrement du petit volatile que vous faisiez flotter à la surface de votre baignoire au milieu de la mousse étant gosse (même si ce n'est pas le cas répondez "oui") ? Ici, ils en ont un vraiment gros sur le dos duquel se trouve un faux temple, vrai sanctuaire à touristes où se donnent des spectacles de danses et de marionnettes. L'édifice reproduit une barge royale comme on en entend parler ailleurs dans le pays. La promenade sur les pontons en bois avec cette vue est agréable, surtout lorsque vous marchez sur les planches qui sont encore fixes.
Si vous retrouver auprès des autres touristes n'est pas votre tasse de thé, vous pouvez opter pour une alternative plus en immersion et pas inintéressante : un petit voyage en train de banlieue. Yangon est entourée d'une ceinture ferroviaire qui peut être parcourue en 3 heures pour une somme modique. A la gare, les billets s'achètent directement sur le quai et non pas aux guichets du hall principal. Un train rouge couvert de publicités finira par se pointer en bringuebalant. Toutes les rames communiquent entre elles. A l'intérieur, 2 rangées de bancs en bois ou en plastique parallèles aux voies. Les gens s'y installent normalement ou en position de yoga ou s'y allongent ... Très régulièrement un commerçant passe pour écouler sa marchandise en interpellant le chaland. Des ventilateurs fournissent l'air conditionné. En même temps, comme il n'y a pas de porte et que les fenêtres ne comportent que des rideaux en acier, l'air entre de tous les côtés et les voyageurs n'étouffent pas vraiment. Aux approches des gares, des gens se positionnent sur les marches extérieures et sautent ou grimpent dès que le train ralentit ou redémarre.
Dans les gares du parcours, les échoppes alimentaires jouxtent les voies. Les haltes sont relativement brèves, souvent moins d'une minute. En cours de trajet, on surprend souvent des maisons de bric et de broc au toit en tôle ondulée non loin des rails, d'autres fois un bidonville derrière un mur de briques. On ne traverse pas vraiment des quartiers riches...
Plutôt que de faire le tour intégral, nous décidons avec mon équipière de descendre au bout d'une heure et de traverser la banlieue pour rejoindre l'autre côté de la ceinture. C'est le début d'une vrai aventure : tous les panneaux sont majoritairement en birman et de moins en moins de locaux parlent anglais. Au point que nous allons rapidement déchanter : sur notre trajet figure un enclos à éléphants captifs, nous demandons donc dans un anglais digne d'Oxford "Elephants, elephants" ? Mais c'est la douche froide : personne ne comprend. Pas de souci, il est plutôt simple de mimer cet animal : on fait la trompe avec le bras qui monte et qui descend, on montre avec les mains les dimensions généreuses de la grosse bête à la démarche pataude. Moins de réaction que sur un encéphalogramme plat voire des interlocuteurs qui s'interrogent sur notre santé mentale et sur le fait qu'on doive les traiter d'obèses. Autant dire que lorsque nous nous mettons à imiter des barrissements, leur diagnostic semble se confirmer. Pour nous, toujours pas de réaction éclairée. Pendant de longues minutes, on continue de s'enfoncer encore et toujours sans avancer d'un poil dans notre Time's Up. Puis, ma coéquipière sort l'arme magique : un badge d'éléphant obtenu lors du vol d'hier sur une compagnie intérieure. Sauvés ! Oui les deux hurluberlus cherchent bien l'enclos à éléphants comme ils tentaient de vous l'expliquer depuis 5 bonnes minutes et celui-ci se trouve à moins de 100m. Un temple visité plus loin, nous reprenons notre traversée d'un bout de la ceinture à l'autre. Le temps passant, il devient évident que cet objectif est trop ambitieux. En outre, nous sommes très loin du centre-ville. On décide de prendre un taxi. A priori pas de problème. Sauf qu'aucun de ceux du quartier ne parlent un mot d'anglais. Tout y passe : "downtown", "city centre", "independance square", "main station" ... Un attroupement se constitue et tente de déchiffrer notre nouveau mime : le train. "Tchou tchou" !!! Mime de la locomotive à vapeur avec les bras qui font des ronds dans le vide. Tout ce qui peut vous passer par la tête pour symboliser ça. Le résultat est navrant : rien, nothing, nada ! Pour résumer, nous sommes à probablement une dizaine de kilomètres de la capitale, en pleine banlieue et il n'y a personne qui comprend où nous voulons aller. La situation est mal embarquée. En fait, la prononciation du birman doit être à des années-lumière de ce qu'on pense et la barrière de la langue devient insurmontable. Et puis soudain, je me rappelle avoir pris un des principaux monuments en photo ce matin. De suite, les visages s'éclairent et nous, on est à nouveau "sauvés" ! Il faudra près de 45 minutes de route pour regagner le centre. Cette "expédition" fut la plus rude du séjour. Partout ailleurs dans le pays, les gens que l'on rencontrera parleront mieux anglais.
Si vous êtes un peu moins aventurier, vous pouvez découvrir des scènes originales en plein centre-ville : juste derrière la gare commence un bidonville. Autour de la station, l'activité est ainsi fourmillante de petits métiers et il est facile d'y surprendre les jeunes hommes jouant au chinlon. Il s'agit d'une petite balle en rotin que plusieurs joueurs se passent tout en réalisant des jongles. Toutes les parties du corps peuvent servir sauf les bras et les mains. Si l'on suit les règles, il y a même des figures imposées à réaliser. Au Myanmar, cette activité est un sport très prisé. D'ailleurs, il est possible d'en voir dans un endroit encore plus central : le parc abritant la colonne de l'Indépendance. A plusieurs titres, cela semble être le coeur de la ville : il comprend les principales tours en verre, un temple au milieu d'un rond-point (la Paya Sule), l'Hôtel de Ville imposant, une église baptiste ainsi que la Cour Suprême dont le Royaume du Pudding et de l'Agneau-sauce-à-la-menthe ne renierait pas l'architecture. Mais plus encore grâce à son parc, lieu de rassemblement d'un grand nombre d'habitants qui viennent s'y retrouver des heures chaudes de la journée jusqu'à la nuit tombante. Ses pelouses se couvrent alors de citadins partout où il y a de l'ombre et ... de joueurs de chinlon.
Pour terminer la présentation synthétique de la capitale, deux autres lieux méritent une mention, pour leur reflet de la vie locale.
Le premier est le bord de la Yangon River qui est à la taille des grands fleuves d'Asie : il est agité d'un très fort courant et traversé aussi bien par de frêles coques de noix que par des bacs ou d'immenses cargos transportant d'innombrables containers. De l'autre côté de cette voie de circulation majeure, la campagne. Les faubourgs tentaculaires de l'ex capitale n'ont pas encore pu l'atteindre. Les prix devraient grimper à l'avenir et la rive être engloutie sous le béton.
Le second est la Poste Centrale où l'on peut voir de vieux appareils comme des télégraphes. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il y a maximum trente ans, ceux-ci étaient le principal outil de communication entre grandes villes tandis que les villages n'avaient rien. Désormais, on est à l'ère de l'internet sur smartphones et autres IPhone c'est dire le bond prodigieux réalisé en si peu de temps. Et dans l'intervalle, il y a eu un embargo des pays occidentaux contre la junte au pouvoir. Aussi, il y a à peine 10 ans, les cartes SIM s'achetaient-elles jusqu'à 5000$ au marché noir. Leur prix a très lentement baissé pour atteindre désormais 1,5$ et permettre l'essor précédemment évoqué.
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